Le film est vraiment du pur Coppola ; la photographie est époustouflante, tamisée et très soignée comme dans Virgin Suicides. Bref, pendant tout ce film, les deux protagonistes Bob et Charlotte (joués par le superbe et drôle Bill Murray ainsi que la talentueuse et belle Scarlett Johansson) ne font qu'entretenir une relation amicale, bien qu'on ressente qu'ils éprouvent quelque chose de plus grand l'un pour l'autre. Et pendant tout le film, ils vont rester ensemble, à s'ennuyer ensemble, se cherchant, sans jamais s'avouer leurs sentiments. Sofia Coppola poursuit alors sur sa lancée en exploitant le thème de l'ennui - son thème de prédilection - sous une autre forme encore, puisqu'il est cette fois lié au sentiment de "mal du pays".
Le spectateur est on ne peut plus frustré de voir ces deux magnifiques personnes s'entendre à merveille sans jamais s'avouer leur amour. C'est parfois un supplice, surtout vers la fin du film car on a suivi l'intégralité de leur parcours ensemble et qu'on sait parfaitement que quelque chose se trame dans leur esprit. Au bout d'un moment, on se demande s'ils vont réellement finir ensemble. A la fin du film, Bob doit rentrer chez lui, aux USA, tandis que Charlotte reste sur place, dans une vie monotone. Et je l'avoue, je trépignais sur ma chaise. Car on les voit là, sachant parfaitement qu'ils n'ont qu'un mot à se dire pour être enfin heureux. Mais ils ne le font pas. Après leurs adieux, Charlotte repart, attristée de n'avoir pas eu le courage de faire le premier pas, tandis que Bob se dirige vers l'aéroport avec le même sentiment. Et nous, on se rend compte que l'histoire va certainement se finir mal et qu'ils ne se reverront jamais. Etrangement, une sorte de déprime s'installe avant, bien sûr, la scène finale. Le genre de choses qui n'arrive que dans les films, certes, mais qui n'en demeure pas moins magnifique à l'écran. Ça donnerait presque envie de rêver le grand amour.
Lorsque
Bob retrouve
Charlotte dans la rue, par coup de chance, et qu'il prend conscience que c'est sa dernière chance, qu'il doit la saisir de peur de le regretter toute sa vie, il la prend dans ses bras,
ENFIN. Un énorme soulagement pour le spectateur. Sofia Coppola a alors une idée de génie : elle fait dire une phrase à son personnage à l'oreille de Charlotte et le spectateur n'est pas mis dans la confidence. C'est leur petit secret. Nous avons vécu toute leur histoire avec eux, mais nous sommes exclus de cette réplique finale, car ce moment leur appartient entièrement. L'effet est incroyable : cela offre aux personnages une dimension particulière, comme s'ils s'enfonçaient davantage dans la bulle qu'ils avaient commencé à se créer. Sublime.
On peut croire que film ne raconte rien, mais bien au contraire ! En dehors des thèmes habituelles de Coppola (l'ennui, l'errance), Lost in translation met en avant le problème du premier pas, sujet qui est rarement exploité au cinéma, ou alors mal traité. Ici, le film entier est centré sur ce malaise, sur cette timidité des deux personnages qui n'osent pas. J'aime beaucoup. D'autant que ça nous donne vraiment un final fort en émotion. Il nous raconte également l'histoire de deux personnes au coeur d'un pays qu'il ne connaissent pas, et qui se sentent seules. Elles vont donc naturellement se rapprocher. Bref, une expérience unique pour les personnages comme le spectateur : à savourer encore et encore.