The village - La scène de la main tendue

      Ce soir, j'avais envie de rédiger un petit article sur l'une des scènes les plus réussies de M. Night Shyamalan puisqu'elle continue de me hanter depuis que j'ai vu le film il y a plus de 15 ans. En moins d'une minute, le cinéaste nous fait passer par toutes les émotions avec une belle intensité. Je trouve que c'est un sacré tour de force qui mérite qu'on s'y penche un moment.

     Tout dans cette courte scène semble absolument parfait. Les cadres finement travaillés, les tons de couleurs somptueux, la tension de la situation appuyée par une mise en scène intelligente, l'utilisation du ralenti et de la musique, les messages forts que fait passer cette scène en terme de relation entre les personnages. Tout y passe en quelques plans et quelques secondes ; la scène est d'abord si angoissante, puis si poétique, qu'elle semble durer une éternité. Et pourtant, alors que Shyamalan prend son temps pour instaurer le suspense, puis pour nous proposer une véritable envolée lyrique, on réalise avec étonnement que tout est bouclé en 1min30 montre en main. C'est du travail d'orfèvre.

      Avant de la commenter davantage, je vous propose de revoir la scène que je n'ai pas pu m'empêcher d'extraire et d'uploader sur Youtube il y a 6 mois, puisqu'elle était scandaleusement introuvable en bonne qualité sur la plateforme.

      J'aime me passer et me repasser cette séquence en boucle. On démarre par 40 secondes de suspense absolu avec cette créature qu'on aperçoit à peine dans la pénombre. Le plan centré sur la main d'Ivy entre 0:31 et 0:42 est si simple et pourtant si ingénieux, car il nous montre à la fois le danger que représente la créature (en arrière-plan) et la force qu'Ivy place dans sa confiance en Lucius (au premier plan). Sa main tremble, mais elle ne partira pas. Ivy reste convaincue jusqu'au bout que Lucius viendra prendre cette main, malgré la menace tapie dans l'ombre, à quelques pas d'elle. Durant ces 40 secondes, Shyamalan joue subtilement avec l'ombre et la lumière pour qu'on ne sache jamais vraiment où et quand frappera la créature, mais aussi avec la musique qui se coupe soudainement lorsque la vie d'Ivy est réellement menacée, pour qu'on puisse se concentrer uniquement sur les grognements de la créature comme si nous étions nous-mêmes aveugles. Peu de réalisateurs sont capables de nous tenir en haleine de la sorte, avec si peu de choses, en si peu de temps, tout en nous mettant à la place du personnage (mais aussi en tant que voyeurs extérieurs de la scène) de manière subtile. 

     Et, surtout, peu de réalisateurs sont capables de transformer une scène d'angoisse et de suspense en pur moment de poésie et de romantisme, en une fraction de seconde. J'ai rarement vu une chose similaire au cinéma. Une seconde, le spectateur est concentré sur son angoisse avec cette main tendue et, la suivante, il est à la fois soulagé et ému lorsque les violons apparaissent et que Lucius saisit cette main. S'ensuit alors un ralenti de toute beauté, qui me retourne le cœur à chaque fois tant il parvient à nous saisir avec, encore, très peu de plans.

      Seuls quelques mètres séparent la porte de la trappe. Les personnages courent pour rejoindre l'abri. Et pourtant, Shyamalan parvient à nous faire croire que le temps qui s'écoule entre les deux est infini. La musique de James Newton Howard est un petit bijou qui me traverse avec mille frissons, alors qu'Ivy suit aveuglément Lucius qui lui tient fermement la main. Le plan sur Ivy qui se retourne parce que Lucius doit refermer la porte est magnifique. Le plan qui montre Lucius tirant Ivy vers la trappe est libérateur. Et surtout, le plan sur ces deux mains qui se tiennent pour concrétiser l'amour et la confiance qui existent entre ces deux personnages est malin et puissant. Ca dure deux secondes, mais ça dit tout.

      Alors que la musique de James Newton Howard se poursuit, on réalise qu'en une seconde, la menace qui planait en début de séquence n'existe plus. On a beau entendre les coups des créatures sur les portes et sur les murs de la maison, on ne voit plus que ces deux mains qui se tiennent et on sait que, tant que celles-ci ne se lâchent pas, il ne peut plus rien leur arriver. On est passé d'une angoisse à une poésie, d'une tension à un soulagement. Cette scène est dingue. Je pense qu'il s'agit de l'une de mes scènes préférées de M. Night Shyamalan, même s'il est difficile de dire une chose pareille, tant son cinéma regorge d'exemples de perfection du même genre, comme la scène des visions dans Incassable. 

      Bref, je voulais rendre hommage à cette minute de virtuosité qui a fait (et fait toujours) de Shyamalan mon réalisateur chouchou depuis que le cinéma est devenu ma passion. Je n'oublierai jamais cette séquence et, on peut reprocher ce qu'on veut à Shyamalan et The Village (notamment son montage parfois curieux lorsqu'on repense au timing de révélation du twist), mais on ne peut pas nier un talent pour susciter des émotions vives.