C'est le retour des articles, et malheureusement je reviens en colère contre mon cinéaste chouchou. Trap m'a déçu bien plus que je ne l'aurais imaginé, d'autant que la première heure du film est fabuleuse. J'ai vécu ce qu'on appelle un ascenseur émotionnel, car je plaçais beaucoup d'espoirs sur la tournure des événements de l'intrigue. Arrivé à un certain stade, je me réjouissais d'avoir cru comprendre où Shyamalan allait me mener, j'attendais avec impatience l'émotion... et puis non. Je vais vous raconter ça en détails, mais je vous préviens : je vais tout spoiler.
La critique
Dès les premières minutes, on entre dans le vif du sujet avec ce qui semble être le huis clos promis dans la bande-annonce : un père et sa fille débarquent au concert d'une superstar dont la fille est fan jusqu'à la moelle. Comme à son habitude, Shyamalan nous dresse les éléments très rapidement et sans présentations interminables : le concert débute et ce père, qui est accessoirement un tueur en série recherché, commence à comprendre qu'il s'est fait piéger par les autorités et qu'il ne peut plus ressortir du bâtiment. Durant le reste du concert, il va devoir faire preuve de ruse pour déjouer la surveillance tout en cherchant une issue, sans éveiller les soupçons de sa fille qui vit sa meilleure vie dans la foule.
Plusieurs gimmicks de réalisation de ce cher Shyamalan sont notables, comme le caméo du réalisateur ou l'utilisation des écrans et en particulier du téléphone comme moyen d'informer le spectateur, avec en plus un regard légèrement moqueur sur le public qui ne cherche qu'à tendre ses bras pour capter le moment en vidéo, plutôt que dans sa mémoire. Malgré tout, le smartphone donne aussi lieu à une scène sublime en terme de lumière, lorsque tous les fans de la chanteuse sont amenés à allumer leur lampe-torche, ce qui donne un décor presque féérique. Même le briquet a évolué en téléphone. En terme de lumière et de couleurs, tout ce qui a lieu pendant le concert est presque parfait, on retrouve notamment les tons rouges que Shyamalan utilise depuis toujours comme synonyme de danger (couleur rouge qui devient, du coup, symbole de zone de sécurité pour le personnage principal).
Et puis, comme dans chaque film de Shyamalan, la figure du père est ici très présente, interprété par Josh Hartnett que j'ai adoré suivre dans le rôle de Cooper. L'acteur est absolument génial d'un bout à l'autre, il parvient à jongler entre le côté monstrueux de son personnage et l'humour que Shyamalan insuffle à son œuvre. L'humour dans la filmographie de Shyamalan est souvent assez doux, jamais tape-à-l'oeil, et c'est encore le cas ici (si on exclut la scène post-générique dont on aurait franchement pu se passer). Bref, Hartnett est brillant et sans aucune fausse note, il m'a fait rire, mais aussi impressionné dans sa capacité à changer de jeu dans une même scène. Tel Dexter dans la série culte, on aurait presque envie qu'il s'en sorte. Le reste du casting est globalement impeccable, que ce soit Ariel Donoghue dans le rôle de la gamine de 12 ans comme la fille du cinéaste, Saleka Shyamalan, dans le rôle de la popstar.
Et puisqu'on parle de la musique, je ne vais pas redire la même chose à chaque fois en ce qui concerne l'absence de James Newton Howard depuis plus de 10 ans à la composition des films du cinéaste. La musique de Trap est tristement oubliable, à l'exception de "Release" de Saleka, qui est une merveille. Cette chanson interprétée par la fille de Shyamalan, qui accompagnait aussi la superbe bande-annonce, me file des frissons.
Malheureusement, et même si j'ai adoré cette première heure de huis clos dans la salle de concert, je n'ai pas pu m'empêcher de noter quelques fâcheux défauts d'écriture. L'écriture, c'est habituellement le point fort de Shyamalan, celui pour lequel il est le plus réputé et pour lequel j'admire aussi son travail depuis 25 ans. Mais là, il faut le dire, Trap est terriblement mal écrit, il est parcouru d'incohérences, et ce dès les premières minutes. Tout d'abord, que dire de ce concert où une grande partie du public reste en dehors de la salle durant le show ? Lorsque le père sort de la salle pour tenter de trouver des issues, ses actes sont toujours miraculeusement dissimulés par une foule improbable de gens qui restent en dehors de la salle alors qu'ils sont censés être sur place pour assister au concert pour lequel ils ont payé. Au lieu de ça, l'extérieur de la salle est bondé et ça n'a aucune logique, si ce n'est pour servir un scénario tarabiscoté.
Deuxièmement, comment se fait-il que Cooper parvienne aussi facilement à se procurer des informations aussi secrètes sur l'intervention de police ? Le personnage du vendeur Jamie, interprété assez maladroitement par Jonathan Langdon, est absurde. Sous prétexte que Cooper fait une faveur à une jeune fille en lui laissant le dernier t-shirt de son stand, ce vendeur devient presque ami avec lui, lui révélant toute l'enquête policière et le piège top secret tendu au Boucher, lui dévoilant même le mot de passe qui lui permettra de passer la sécurité, l'amenant dans sa réserve, etc. Tout ceci n'a aucun sens et ce sont des facilités scénaristiques auxquelles Shyamalan ne nous a jamais tellement habitués. Une grande déception.
C'est sans oublier la plus grosse arnaque scénaristique de toute la filmographie de l'auteur : la façon avec laquelle Cooper parvient à faire de sa fille la "Dreamer Girl" qui accèdera à la scène et aux coulisses, tout près de sa star. Lorsque j'ai vu la scène, j'ai halluciné devant une telle grossièreté d'écriture et je crois que je n'en reviens toujours pas. En gros, Cooper tombe comme par hasard sur l'oncle de Lady Raven dans l'immense foule du public, comme s'il connaissait son identité et sa position à l'avance, et parvient à négocier auprès de lui pour que sa fille Riley soit l'unique élue parmi les dizaines de milliers de filles du public. On peut difficilement faire pire en terme d'écriture, on touche clairement le fond. Sur le moment j'ai cru, optimiste, que Shyamalan nous réserverait une explication pour cette improbable rencontre, mais non, c'est juste une énorme facilité pour faire avancer l'intrigue. Un grand n'importe quoi.
La fin du film
J'ai pourtant cru que le film serait plus malin que ça. Et surtout, j'ai cru que ce serait un réel huis clos. Mais là encore, Trap déçoit en effectuant un virage terrible : les personnages sortent de la salle de spectacle. S'engage alors une improbable prise d'otage bourrée d'incohérences dont je souhaite à peine parler tant elle m'a énervé. J'ai cru, jusqu'à la scène du piano, que Trap s'aventurait vers une sublime révélation pleine de faux-semblants, mais j'en parlerai plus bas dans la dernière partie de l'article.
Au lieu de subtilité et d'intelligence, le film devient alors une traque débile, un jeu de chat et de la souris ridicule et jamais crédible entre Cooper et la police. Sauf que rien ne tient la route, absolument rien. Que ce soit cette histoire de mec enchaîné dans une cave, qui est retrouvé comme par magie juste parce qu'il a entrevu une statue de lion cassée, on encore l'évasion de Cooper qui parvient (nul ne sait comment) à s'extraire de la limousine en une minute montre en main alors qu'il doit enlever son uniforme du SWAT, se changer, puis sortir de la voiture incognito alors qu'il y a littéralement UNE FOULE agglutinée autour de la limousine et qui en scrute l'intérieur. Rien ne va, ce qu'on voit à l'écran est rarement justifié ou même justifiable. C'est juste tiré par les cheveux, et c'est tout.
Je passe sur la fin qui est complètement conne. Le mec est un tueur en série reconnu, il se fait arrêter, mais on le laisse remettre un vélo debout dans le jardin (pourquoi ??) ou encore faire un dernier câlin à sa fille pour lui dire adieu. N'importe quoi. Vraiment n'importe quoi. Le film se termine dans la pire des absurdités avec Cooper qui parvient à ouvrir ses menottes avec le rayon de la roue de vélo qu'il a précédemment subtilisée (sérieux ?). Evidemment, hein, il est absolument seul dans le fourgon, aucun agent pour le surveiller alors qu'il est l'un des hommes les plus recherchés du pays. Paye ta crédibilité.
Bref, autant j'accepte la première partie du film pendant le concert, plutôt amusante et sympa à suivre (notamment grâce à Hartnett et à l'humour), autant j'ai détesté la deuxième partie qui est tout simplement rocambolesque et ratée. Aucune émotion, aucun sens, aucun intérêt. On se croirait presque devant l'horreur qu'était Les guetteurs, réalisé récemment par son autre fille. Pourtant, il y avait des moyens d'en faire un film potable au scénario plutôt malin...
Comment le film aurait-il pu finir ?
Je vais vous raconter ce dont j'ai rêvé durant la séance, et qui a renforcé mon immense déception.
Durant la majeure partie du film, je me suis posé des questions. Evidemment, Shyamalan étant un habitué du twist final, j'ai pris mes précautions et j'ai tenté d'analyser le cours des événements. Je me suis demandé, à un moment donné, si Cooper était vraiment le Boucher. Bien sûr, il y a la vidéo de Spencer dévoilée dans les toilettes en début de film, et qui ne laisse pas de place au doute. Cette révélation gâche d'ailleurs l'intégralité du film à mon goût ; j'aurais préféré ne pas connaître si tôt l'identité du personnage de Josh Hartnett.
De même, cette séquence du caméo de Shyamalan, qui joue l'oncle de Lady Raven, était si improbable que j'ai songé qu'elle trouverait son explication plus tard. J'ai pensé que le "Trap" était spécifiquement de faire tomber Cooper dans tous ces pièges, de le forcer à vouloir faire monter sa fille sur scène afin de le démasquer plus rapidement. Ceci aurait pu avoir un sens puisqu'on nous dit à un moment que l'enquêtrice, véritable profileuse aux capacités incroyables, avait tout prévu de A à Z. A la fin, on se rend compte qu'elle n'avait absolument rien prévu et que son seul plan était d'interroger chaque homme à la sortie de la salle de spectacle. 3000 hommes à interroger. En réalité,vu la perspicacité des policiers dans ce film, Cooper aurait presque pu sortir avec sa fille à la fin du show, répondre aux questions en disant qu'il était pompier, et l'affaire était pliée. Le concept de la "profileuse aux dons multiples" tombe complètement à plat. D'ailleurs, on se demande pourquoi Cooper est si inquiet durant une majeure partie du film alors qu'il lui suffirait de rester tranquille : les autorités ne connaissent pas son visage et hésitent même entre 3 ou 4 profils très différents.
Bref, j'ai donc cru que l'enquêtrice avait un plan bien organisé : celui de faire tomber le Boucher dans tous ses pièges. En l'obligeant à déclencher une alarme incendie (piège que Cooper parvient à déjouer), mais aussi en l'obligeant à entrevoir les coulisses comme seule issue de secours. Ceci aurait pu être le vrai piège. Il aurait été malin de nous montrer que le piège se refermait tout doucement sur Cooper et que tout avait été planifié à l'avance, ça aurait justifié de nombreuses incohérences (comme le fait que Riley se retrouve miraculeusement propulsée sur scène). On aurait pu imaginer que Lady Raven était dans le coup depuis le début et que l'ensemble avait été savamment étudié. Mais non, personne ne s'inquiète du fait qu'un homme correspondant au profil du Boucher parte main dans la main avec Lady Raven sans aucune fouille.
Imaginez maintenant ce que le film aurait pu être, car j'en rajoute une couche. Imaginez qu'on oublie la scène dans les toilettes, lors de laquelle Cooper surveille que Spencer est bien enfermé dans la cave. Imaginez que l'identité de Cooper soit bien plus ambiguë. Shyamalan aurait pu nous faire croire que Cooper était le Boucher alors qu'il ne l'était pas, tout en conservant quasiment la même trame durant le concert. Suspect, conscient d'être suspect, mais pas coupable.
Imaginez que Cooper ait été réellement un père de famille honnête. Il aurait appris par un vendeur que le Boucher était recherché et que le concert était un piège. Cooper aurait pu, sans être le tueur en série, se saisir de l'occasion pour offrir à sa fille le plus beau jour de sa vie. Il aurait pu tout simplement se servir de cette information pour faire croire à tout le monde qu'il était le Boucher, pour faire monter sa fille sur scène, pour se rapprocher de Lady Raven, emmener la superstar jusque chez lui, jusqu'à la forcer à jouer du piano chez lui en duo avec Riley.
Car ce plan, durant lequel Lady Raven et Riley jouent du piano côte à côte et Cooper tend vers elles un téléphone, aurait pu avoir une toute autre signification. Ce téléphone est censé représenter le chantage que Cooper fait à la chanteuse, mais je me suis pris à croire à ce moment que Cooper était tout simplement en train de filmer ce moment magique, afin de conserver ce souvenir à tout jamais pour sa fille. A ce moment, qui plus est, la musique est très jolie, très tendre. J'ai cru, bêtement, que Cooper était peut-être un type honnête qui avait tout manigancé pour que sa fille chérie passe le jour le plus incroyable de toute sa vie. Ainsi, c'est lui qui aurait piégé tout le monde, donnant alors un véritable double sens au titre du film : Trap. Cela aurait procuré une vague d'émotion : de voir tout ce qu'un père était capable de faire par amour pour sa fille.
Voilà ce dont j'avais rêvé, voilà pourquoi je suis si déçu par Trap, qui n'est finalement qu'un vulgaire thriller mal écrit et mal foutu. J'arrête cet article ici, Shyamalan m'a déçu et je suis profondément perturbé par toutes ces faiblesses d'écriture. Un gâchis.
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